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Editions érès, collection Po&Psy.
Sôgi, Shôhaku, Sôchô, Trois vois à Minase. Traduction et adaptation de Shinji Kosaï et Françoise Migeot. Toulouse : Erès, 2012.
Federico Garcia Lorca, Grenier d’étoiles. Traduction de Danièle Faugeras. Toulouse : Erès, 2012.
Claudine Bohi, Avant les mots. Dessins de Magali Latil. Toulouse : Erès, 2012.
Nous recevons ces trois petits livres, présentés sous forme de pochettes. Sôgi, Shôhaku et Sôchô sont trois poètes japonais des quinzième et seizième siècles. Ils composent ensemble un renga.
Le recueil de Lorca présente une sélection de poèmes.
L’alliance entre poésie et psychanalyse me paraît contestable, car les deux démarches sont absolument différentes sinon antinomiques. Si la psychanalyse se veut une science, appartenant donc au domaine de la connaissance, de sujet à objet, le poème, lui, participe du monde en pleine intersubjectivité, comme le dit d’ailleurs Rilke, cité sur la pochette qui entoure chaque fascicule.
Anne Mounic
Chaque année, les éditions érès publient trois livrets de poètes appartenant à des horizons temporels et géographiques divers autour d’une présentation et une teinte attractives. Ce sont des enveloppes aux couleurs du monde qui voudraient nous réconcilier avec lui. Cette année, un auteur contemporain côtoie trois poètes japonais du XV ème siècle et Federico Garcia Lorca.
François Migeot nous donne une explication très exhaustive sur la poétique du renga japonais. Il éclaire notre curiosité sur cette forme pratiquée à plusieurs mains entre le Moyen-Âge et le XV ème siècle. A propos de la thématique, il précise par exemple que « le premier des cents versets suggère une perception de la réalité, souvent issue du paysage environnant, tandis que le second ouvre la voie à l’imaginaire ». Le renga est « une œuvre collective en constante progression ». Les imaginaires de chacun des trois poètes se nourrissent les uns au contact des autres. Le temps œuvre dans le texte et influe sur le sujet écrivant.
Comme dans les haïkus, la sensibilité développée des japonais à leur environnement naturel est de nouveau perceptible dans le renga. Le paysage nourrit leur subjectivité. La nature changeante au fil des saisons révèle toutes les variations de l’être. Givre, neige, brume, floraison, miroitement, c’est ainsi qu’un occidental peut imaginer le paysage externe et intime du japon. L’être glisse comme « […] une barque / déchire l’aube assoupie […] ». Il s’assimile également à cet « ermitage / au fond de ces monts ». La fragilité, la précarité, la subtilité de la nature sont les qualités qu’on imagine d’un être conscient de vivre dans ce paysage tout en nuance. L’être du Japon est une présence qui marche, évolue, se révèle ou s’efface dans ce qui l’entoure. Anonyme, nullement encombré d’un moi qui voudrait être reconnu pour ce qu’il est à la manière d’un occidental, il est plutôt un mélancolique de lui-même ainsi que le passage suivant le suggère : « […] tout ce qu’il me reste / ce sont les ombres des morts / du pays natal […] ».
Perplexe, interrogatif, l’être japonais demeure incertain de son devenir même si un « je « prend soudain voix après de lents détours par d’autres évocations. C’est un être du retrait dont l’identité dépend du paysage avec lequel il entre en osmose.
La simplicité autant que la justesse des mots qui composent le renga conviennent aussi bien à l’expression de l’apaisement qu’à celle de l’inquiétude évoqués dans un équilibre et une finesse qui toujours ont le dernier mot : « […] même dans la vie / terrassé par la misère / l’esprit peut s’élever // car enfin la voie est juste / – elle est juste pour chacun ». Le renga inspire paix et sérénité dans un paysage où la douceur prévaut. Son écriture si bien aboutie épouse une architecture qui permet au lecteur d’imaginer une représentation picturale dans le rythme du glissement d’un sujet qui se fond dans son environnement quelques soient les saisons traversées. « […] le givre de chaque nuit / a rendu mes cheveux blancs // au bord de la baie / parmi les roseaux d’hiver / la grue solitaire // là-bas une voile à peine / pêcheur et brise du soir // à perte de vue / file la brume printanière / – où donc finit-elle ? […] » Ce recueil a le privilège de réconcilier le lecteur avec une expression poétique de qualité tout en lui révélant la subjectivité fugace de l’être japonais. S’assimilant à cet être, il épouse le fondu de l’œuvre et, comme le dit si bien François Migeot, « se réalise par éclipse, le temps d’un poème, dans l’impermanence même du mouvement »…
De la péninsule ibérique, nous parviennent onze feuillets pliés en quatre présentant des poèmes composés entre 1921 et 1928 et accompagnés pour la plupart de dessins de Lorca. Le recueil s’ouvre sur une parole lyrique amoureuse et répétitive. L’anaphore donne l’élan à ce qui est adressé à autrui : « Reviens, cœur, reviens ! ». Lorca, poète de l’amour et de son drame projette le sentiment dans un avenir proche qui s’exalte. Le corps n’est jamais séparé de la parole ; les deux sont essentiels pour que la plénitude amoureuse puisse s’exprimer. Lorca a foi en l’amour sans lequel l’être humain devient peu de chose. Le monde s’ouvre à lui et il se sent soudain allégé même s’il continue de traduire son manque. L’impossible même devient possible. « Les parallèles se rencontrent / dans le baiser. » Lorca se laisse porter par ce qui l’entoure, la lune, la mer, le ciel, la nuit… dans l’immense légèreté des vers. Le titre donné, « Grenier d’étoiles », est un réservoir d’espoir issu du monde. Le paysage espagnol et sa luxuriante nature se font toutefois discrets. Quelque oranger mort attend d’être coupé pour disparaître à jamais et un cyprès se révèle dans son ombre. La légèreté se marie ici avec le plus tragique comme pour rejoindre la joie et la mélancolie portées dans le cœur des Espagnols. « Mon âme / une simple fleur / délirante », écrit le poète dans la dramatisation de son existence.
L’aboutissement des textes surprendra pour un si jeune poète qui a alors moins de trente ans. Le cœur bat dans les mots dans la simplicité d’un être qui a déjà beaucoup réfléchi à l’être au monde. Poreux et sensible, il sait donner le ton juste à tous les mouvements de l’âme. Pour ce poète, qui sera assassiné en 1936 par les Franquistes, un poème intitulé « D’ici » s’annonce prédiction : « Dites à mes amis/que je suis mort. /(…) / Dites que je suis resté / les yeux ouverts / et que recouvrait mon visage / l’immortel foulard / du bleu. »
Le recueil s’ouvrait avec le sentiment amoureux que l’autre inspirait, il se referme avec la mise en mouvement de la femme aimée : « Danse / ma belle ! / celui qui danse marche / sur l’eau. / Et à l’intérieur d’une flamme ! »
Le dernier recueil de la collection est celui d’une contemporaine. Il vient boucler le parcours éditorial en remontant vers l’origine de l’articulation qui ouvre sur la parole. Celle-ci suit un chemin, des méandres, bifurque, forme des nœuds, des boucles, épouse un chemin en creux ou en vides. Les mots sur la page se dispersent dans la verticalité. Claudine Bohi rejoue une naissance : « Le froid est désormais la forme de la souffrance ». Viennent ensuite l’amour et le fait de vivre qui, pour ce poète, est avant tout « manque ». Le poète comme la dessinatrice s’associent à la composition d’un recueil qui s’inscrit dans l’espace de l’élémentaire de la vie. Quelques pleins et vides se positionnent en relief les uns par rapport aux autres et quelques mots laissent entendre un silence tout en résonance.Nelly Carnet
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Toussaint Médine-Shangô, Hymnes pour l’île : Poèmes sur la Corse. Paris : L’Harmattan, 2012.
Ce recueil est, pour ce poète, un hommage au pays natal, puisqu’il est né en 1927 à Ajaccio. « Et j’ai revu en mer Ajaccio après les Iles, / Le matin rose sur le port »...
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