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Richard Wilbur, par Anne Mounic

26 septembre 2011

par Anne Mounic

Richard Wilbur, Quintessence. Corpus poétique des années 1947 à 2004. Poèmes traduits de l’anglais (U.S.A.) par Jean Migrenne. Avant-propos de Daniel Lefèvre. Agneaux : Editions du Frisson Esthétique, 2011.

Dans ce recueil, la poésie apparaît comme art de la transfiguration et le poème, comme « quintessence du temps ». Le poète, Richard Wilbur, né en 1921, et son traducteur, Jean Migrenne, sont devenus amis. Le premier dit de celui qui, dans notre langue, lui donne une voix, transposée mais authentique : « Cela m’emplit de plaisir et d’étonnement que vous ayez pu rester si près du sens de mon poème tout en le suivant dans la métrique et les rimes. Il me semble qu’en tant que traducteurs, nous apprécions le même type de défi. J’ai essayé, dans mes transpositions de Molière, de Racine de Du Bellay et d’autres de conserver à la fois la forme – qui dans un bon poème fait partie du sens – et le détail de la pensée. » De même que le poème transfigure la réalité, les traductions rassemblées dans ce recueil transfigurent en français le poème originel en choisissant pour chaque mot la juste résonance du terme correspondant. Ainsi « the quick of time », dans « Complaint / Complainte » devient-il « quintessence du temps » et le premier titre, « The Beautiful Changes » devient « La beauté transfigure ». Le poète, tutoyant le monde et y participant par le chant, manifeste l’inouï de l’instant, perçu au travers d’une première manifestation : « Sur la place, des oiseaux chantent par centaines. / Leur musique cascade et se joue en mineur. » L’humble petitesse de l’oiseau laisse transparaître, en filigrane, une remarque d’ordre plus général :

« Burke a dit que notre amour allait au petit.
Et si ce petit ne l’est pas assez, eh bien,
Nous savons le réduire au plus strict appétit :
A l’eau et au grain sec, voilà pour ses besoins. »

Le monde surgit en ses épiphanies : « Deux quatrains pour première gelée », « Matin d’été », « Pas à pas vers le sommeil » ou « Bouleau noir en hiver », mais aussi en ses territoires d’ailleurs : en Italie : « Fontaine baroque au mur de la Villa Sciarra » ou « Place d’Espagne au petit matin » ; ou bien en France : « Place Pigalle », ou « Les oliviers à Grasse ».

Notre présence terrestre se révèle également dans un dialogue avec d’autres formes d’art : « Allez voir où Giacometti, dans une pièce / Sombre comme une grotte marine, a bâti / l’homme que nous sommes et l’a fait marcher ». « Trou dans le parquet », méditation qui rappelle la nouvelle de Virginia Woolf, « La tache sur le mur », est dédié à René Magritte : « Voici un bouquet de copeaux, / Souvenir du plancher posé : / Sa couleur est l’argent doré / De la pomme des Hespérides. » Richard Wilbur écrit un « Tanka », cite D.H. Lawrence en exergue à « L’œil » et y nomme Dante. Citant Marsile Ficin en épigraphe à « Complainte » (« En réalité, tout amour est amour de la divine image, et tout amour est pur. ») et y nommant Cellini, il définit ainsi, en 1969, sa poétique.

Pour donner une idée de l’art du traducteur, je citerai dans les deux langues le premier des « Deux quatrains pour première gelée » (« Two Quatrains for First Frost » :

« Hot summer has exhausted her intent
To the last rose and roundelay and seed.
No leaf has changed, and yet these leaves now read
Like a love-letter that’s no longer meant.

L’été s’épuise dans l’ultime ardeur
D’un trille, d’une rose ou bien d’un fruit.
Les feuilles n’ont pas changé, que l’on lit
Comme vains billets doux car l’amour meurt. »

Merci à Jean Migrenne de nous faire lire en français ce poète qui, en sa conception du poème comme instant de transfiguration, nous fait penser à Charles Tomlinson, de six ans son cadet.


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