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Jean-François Mézil

23 septembre 2015

par Anne Mounic

Jean-François Mézil, Hier est en route. Paris : Feuilles Fictions, 2014.

Ce roman, divisé en trois parties, – « Aujourd’hui », la plus longue, le corps énigmatique du montage, « Demain », « Hier ? » –, commence au futur : « Je vais vous raconter DEMAIN. / HIER était trop triste. » Le récit débute donc sur le ton de l’extrêmement probable, dicté par l’habitude, mais nous sommes prévenus ; Charles se rend à l’hôpital pour voir sa femme. Quand au narrateur, il ne méritait pas ça. De quoi nourrir le suspens sur fond de Pyrénées et dans une ambiance très typique du Sud-ouest de la France. La rencontre se vit d’abord au futur. Le vrai paysage, c’est le temps qui passe, et « le meilleur de la vie échappe aux instruments ». Sur un rythme très rapide, de courtes phrases haletantes, on passe de Kundera au cinéma, ainsi qu’aux Variations Goldberg. Le récit se construit comme on monte différentes scènes d’un film : « On coupe ! Séquence suivante : LE DINER. » Le présent alterne avec le futur et l’imparfait ; on croise aussi le conditionnel. Les phrases, très courtes, passent anxieusement à la ligne comme s’il s’agissait d’un dialogue, sur le mode de la stichomythie, dont on dit qu’elle accroît la tension dramatique.

Demain, la voiture ne repassera pas, elle aura emmené l’enfant dans une autre ville.
D’où est-ce que vous tenez ça !
C’est ce que les Grecs appelaient le destin.
Ça devrait pouvoir s’amender ?
On voit que vous êtes encore jeune... Demain, il pleuvra sur la place.

Et « Demain » débute avec « Aujourd’hui », au futur, puis au présent, et viennent les souvenirs, de l’enfance : « Combien de fois j’ai rêvé de cette maison !... » Au fil d’une conversation imaginaire se glisse quelques aphorismes, dont celui-ci : « Prenez le bien qu’on vous fait comme semence, pas comme un fruit... ou seulement en devenir. » Et le narrateur paraît vouloir se laisser persuader qu’en dépit de ce que « les Grecs appelaient le destin », le passé n’est peut-être pas « immuable ».
« Hier ? » s’annonce comme l’épilogue, au passé composé : « Les mois ont passé. Février, mars. » La réflexion sur le temps se poursuit :

On ne peut parler d’aujourd’hui sans qu’il appartienne au passé. Le présent est une abstraction.

Entre passé et avenir, il n’y a rien de saisissable : l’un et l’autre se touchent. Ils s’étreignent et se bécotent, jour après jour.

Le récit s’achève par un dialogue qui permet au narrateur de renouer, au moins hypothétiquement, avec l’espoir. Il se confond avec le héros du film qu’il n’a pu voir. « Le passé pèse lourd quand il est douloureux, mais on peut s’en accommoder : plus ou moins mal, plus ou moins vite, il faut du temps... Le plus cruel, en fait, c’est lorsque demain vous est étranger... » En exergue, des citations de Maurice Blanchot, Franz Kafka, Marcel Proust et Jorge Luis Borges, qui éclairent l’intention de l’auteur. La première, celle de Maurice Blanchot, s’installe au commencement comme la première pierre de l’édifice, son point de départ : « Je n’avais plus que ce désir : je voulais avec elle entrer ici, dans ce café, entrer dans l’ennui du cinéma, entendre en elle quelque chose rire. » L’absence de sujet, que recouvre l’« abstraction » du présent, transparaît dans cette réflexion de Borges : « Ne pas être un homme, être la projection du rêve d’un autre homme, quelle humiliation incomparable, quel vertige ! » Le rythme saccadé évoque une fuite éperdue.

Aux frontières de notre démence, il y a le divin : à nous de grimper vers lui !
Je me sentais si seul...
Vous avez trouvé en vous de quoi puiser. Assez pour encaisser l’épreuve et tenir.
Oui, mas ce n’est pas affaire de courage... On ne peut jamais fuir à proprement parler : le malheur est vivace.


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