Claude Vigée, par Anne Mounic
26 septembre 2011
Claude Vigée, Rêver d’écrire le temps : De la forme à l’informe. Paris : Orizons, 2011.
Cet ouvrage épais, publié par Daniel Cohen aux éditions Orizons, rassemble les essais majeurs de Claude Vigée, non republiés en 2006 dans Etre poète pour que vivent les hommes : Choix d’essais 1950-2005. L’ouvrage, conformément au mouvement de l’œuvre poétique et critique de son auteur, se compose de trois parties : A l’encontre : Critique de l’idéalisme occidental ; Joute amoureuse : L’événement de la reconnaissance ; De la forme à l’informe : Une poétique de la voix. Introduit par un essai intitulé « Littérature et judéité », il se conclut par deux entretiens de Claude Vigée, l’un avec Denise Gamzon et Charlotte Wardi, « Le poète juif et la langue française », l’autre avec Francine Kaufmann, « L’épiphanie de la voix ». Les essais ici réunis proviennent d’ouvrages publiés entre 1960 (Les Artistes de la Faim) et 2001 (Le passage du Vivant) ; Révolte et louanges (1962) et L’Art et le démonique (1978), deux recueils essentiels, sont représentés avec des études sur la poésie des dix-neuvième et vingtième siècles, sur Paul Claudel, Albert Camus et Jorge Guillen, sur André Malraux et Flaubert. Dans son appréciation critique, Claude Vigée fait siennes ces paroles de Martin Buber qu’il rapporte en évoquant celui qu’il connut à Jérusalem au début des années soixante : « La reconnaissance d’autrui ne s’effectue pas seulement à l’intérieur de l’âme, mais elle sort de l’âme pour aller dans le monde, et y devient un événement actuel. » (p. 365) Ainsi il ne juge pas les auteurs dont il parle, mais évalue leur œuvre selon le critère existentiel.
« Chaque œuvre de beauté, » écrit-il dans « L’Art et l’esprit », « est une protestation élevée contre l’injustice, dont l’objet est d’étouffer dans son germe la légitime aspiration au paradis sur terre qui anime au départ tous les hommes. » (p. 387) Et il affirme aussi : « En dépit des poètes eux-mêmes, tout art est un élan vers la joie. »
Claude Vigée, homme d’une grande culture, exprime sa pensée profonde dans un langage simple. Comme poète et penseur du rythme, il précède Henri Meschonnic en sa réflexion : « L’arbitraire du rythme renouvelle le langage », affirme-t-il. Langage rythmé rime avec liberté, mais cette liberté ne s’affranchit pas de son lien avec le monde ; le poète le chante, bien au contraire : « A cet instant, l’impulsion mère du chant s’engage dans le monde des images, des sons et des choses qui servent à la désigner. Elle devient l’objet de métamorphoses libératrices dans lesquelles elle se réalise. Le souffle originel de l’âme se détend en création. Par le poème il se fait le libre esclave du monde, présence humaine, affirmation du réel qu’il vivifie et consacre. » (p. 405)
Je ne saurais trop recommander cette lecture, qui renouvelle non seulement la conception du poème, mais également celle de la vie.