Christian Laval
28 septembre 2008
Christian Laval, L’homme économique : Essai sur les racines du néolibéralisme. Paris : Gallimard, 2007.
L’Économie, par sa quête de légitimité scientifique, commune à toutes les sciences humaines, trouve dans la pensée néo-libérale un aboutissement : disjoindre le calcul hédoniste du calcul utilitariste. Au domaine de la production s’appliquerait le calcul mathématique rationnel ; quant au domaine de la répartition, il serait celui des choix éthiques, donc politiques (cf. p. 208). Agir et penser seraient dès lors dissociables. En tranchant ainsi dans le vivant, le néo-utilitarisme n’offre plus qu’une solution pour reconstruire l’unité : rationaliser à son tour le choix politique selon le principe de la maximisation.
Christian Laval ne cherche pas à combattre par un discours militant le cynisme de l’utilitarisme vulgaire (par opposition à l’utilité publique). Son livre est une source de réflexion sur les méandres de la pensée utilitariste. Il n’est pas simple de synthétiser cette idéologie, car, comme beaucoup d’autres, elle puise à différentes sources, philosophiques et religieuses. Christian Laval, et c’est un tour de force, nous fait faire un bout de chemin avec Saint Augustin, tout en dialoguant avec les Jansénistes ; nous permet de retrouver la ruche de Mandeville tout en rappelant la si contemporaine « querelle du luxe » (p. 124). Son style clair, sans recours au jargon des sciences sociales, nous permet de suivre sa démonstration qui répond à la simple question : « Où en sommes-nous ? » (p. 321)
Cette lecture a soulevé chez moi quelques interrogations. Ainsi, deux modes s’opposent, le monde soumis à la transcendance, qui demeurerait statique, et celui de l’activité productrice, qui serait, lui, dynamique, et le résultat du calcul individuel. « L’homme comme être actif » entérinerait la supériorité de Robinson sur St Jérôme (p. 128). Mais cette « nouvelle » morale de l’action, dès lors qu’elle se veut amorale (p. 174) devient un labyrinthe pour la pensée. La nouvelle norme (p. 232), loin de la neutralité scientifique qu’elle revendique, ne constitue-t-elle pas le nouveau dogme ? Le dogme du marché (une société de commerçants, p. 227) n’est-il pas tout aussi arbitraire et inquisitorial que celui de la planification (une société de camarades) lorsqu’il propose, à sa façon, la maximisation du bonheur ?
Un livre d’une actualité aiguë en notre période d’utilitarisme tellement entré dans les esprits qu’il en devient « naturel »…
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