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André Hardellet, par Bruno Duval

22 avril 2020

par Bruno Duval

Si tu reviens jamais danser…

On m’a souvent demandé ce qu’il y avait
de
vrai dans ma chanson Bal chez Temporel  ;
presque tout, sauf le nom, que j’ai inventé
(le Temps, encore une fois !)…

André Hardellet,

Donnez-moi le temps [1].

Intitulé Les Archivistes, le dernier texte du dernier recueil publié de son vivant, sous le titre Les Chasseurs Deux, par André Hardellet est dédié, en passant “par hasard” par la “rue Nathalie Sarraute” (sic) — à quand Serge-Gainsbourg ?— à Guy Béart, autant dire, de la part de l’auteur des paroles du Bal chez Temporel, à… l’ancienneté relative de sa propre voix. [2]

Difficile de se défaire, à la bonne saison, du souvenir de telle autre « immortelle complainte » devenue rengaine passe-partout, d’autant plus qu’à l’oreille, sous le nom de Pré vert, l’auteur même de Paroles alors phonographiquement accessibles par une voix ensoleillée,¬¬¬ avait été le premier auquel, à retardement, l’auteur de Donnez-moi le temps avait, avant la fin du demi-siècle dernier, adressé, sous le titre hellénisant d’Oneïros, son premier essai de… roman, tardivement reconstitué, dans L’Imaginaire 2001, par les soins de la fidèle Simone Marty — L’Imaginaire, 2001  :

Mon bouquin…raconte d’abord l’histoire d’un garçon qui cherche avec une obstination — puérile, si l’on veut : il a vingt ans — ce qu’il y a derrière les apparences. Puis il comprend une suite de métamorphoses — je ne sais comment appeler cela, ce ne sont pas exactement des poèmes en prose — composés par le narrateur lorsqu’il possède assez de recul et de lucidité pour faire le bilan de ses souvenirs et de ses rêves : virées en banlieue et dans les bals musette, contact avec l’insolite, figure des années de “la belle lurette” descriptives de songes, paysages qui s’emboîtent soudain dans l’irréel : on trouve de tout dans ces pages…je sais seulement qu’il me fallait les écrire, ou sombrer dans l’abrutissement sans issue.

Ses vers, l’auteur du Luisant et la Sorgue les avait déjà soumis, dès 194., à un autre illustre « parolier », par ailleurs adepte d’un “fantastique social” adapté à l’écran, sous l’étiquette de « réalisme poétique » par Prévert-et-Carné : pour aller danser chez Temporel, encore fallait-il au… Rat poursuivant La Fille de Londres sur les traces de Pierre Mac Orlan, aller, à ses moments perdus, ramasser quelques Feuilles mortes !

De L’UNE aux autres, il n’y avait qu’un pas — de valse musette, bien entendu.

Rien à voir avec les éditions Feuilles  !

J’en suis là de ma contribution proposée à Temporel quand je reçois sur Internet, après une communication savante sur L’Expérience de la poésie chez les poètes-philosophes allemands selon Adorno, l’annonce de la parution d’une nouvelle « revue de poésie » dont, par le plus grand des hasards, le PS est consacré … aux Chasseurs deux – à quand les Chasseurs dieux…ou D’yeux ?

Avec Révolution, André Hardellet, imparable expert en matière de faille spatio-temporelle, nous fait part comme toujours de cette conception radicale de la rupture qui à l’évidence fut aussi celle de l’éléphant et du rhinocéros […]. [3]

Rien à voir, bien sûr, avec le pape Ionesco de nos anciennes absurdités co(s)miques.

Dans l’immédiat, c’est bel et bien, à quelques pages près, la « faille spatio-temporelle » qui est comblée entre ce qu’ici et maintenant, je suis en train de relire en écoutant, sur France-Musique, une retransmission de l’émission d’Orson Welles sur L’Île au Trésor – l’un des points de mire savanturiers de l’auteur du Seuil du Jardin (Grasset, 1956).

Rallions-nous plutôt, sur un accord de guitare, Chez Temporel, à l’enseigne ancienne du Vecchio — son surnom dans la bande de copains dont, à la tête de la bijouterie familiale, cet ancien étudiant en médecine était le plus « ancien ».

C’était un petit guinche perdu dans la verdure, non loin de l’hippodrome du Tremblay, défunt lui aussi. Peinard, à l’écart de la foule, serti dans un loisir presque champêtre ; j’avais un faible pour lui et j’y ai passé de belles heures que le flacon, la brioche et les rides ne me permettent plus de regarder qu’à travers une vitre embuée. Ce fut, pourtant. [4]

Existerait-il donc quelque part dans le monde une société secrète des Amis d’André Hardellet, à laquelle appartiendrait aussi l’ami Lou Dubois, avec lequel, la semaine dernière, je m’accordais à son propos dans le cadre formalisé de l’Après, « Association Pour ….l’Étude du Surréalisme » — réunie au pied du Sacré-Cœur de Montmartre sous le dôme de la Halle Saint-Pierre.¬¬

À première ouïe, ni l’un ni l’autre de ces compères ne m’a semblé avoir eu vent de ma malencontreuse tentative, voici deux bonnes années déjà, de remettre en selle l’auteur du Seuil du Jardin devant le public trié sur le volet de Cerisy-La-Salle : le texte en demeure aujourd’hui… risible dans le numéro 37 et dernier paru, en 2017, de la revue Mélusine. [5]

De Mandiargues à…Gainsbourg, pas la peine d’y penser !

Après avoir, ado, passé en fraude mon examen personnel de Breton en personne, j’ai eu le tort d’aller l’étudier en Suisse, sous l’égide de Marcel Raymond, qui le premier avait, sur les îles lointaines, passé le cap De Baudelaire au Surréalisme.

Venant à peine d’écrire ces lignes, je reçois aussitôt, sur le Net, l’annonce inespérée de la révélation d’une strophe inédite des Fleurs du Mal :

Et je fus plein alors de cette Vérité
Que le meilleur trésor que Dieu garde au Génie
Est de connaître à fond la terrestre Beauté
Pour en faire jaillir le Rythme et l’harmonie

Parmi les Pièces condamnées, cette strophe des Bijoux aurait pu être écrite par l’auteur de Lourdes, Lentes, lui-même ultérieurement condamné, comme, en son temps, le futur parangon des lettres françaises l’avait lui-même été, sous prétexte d’outrage à la morale publique.
Sur le registre de la licence, Hardellet lui-même, sous couvert d’érotisme bon teint, n’y est pas allé de main morte :

Le plus beau mot de la langue française (avec loisir) est le mot CON. [6]

On imagine aussitôt la tête du censeur se sentant, à juste titre, visé ! Dans ce domaine, le copain par excellence, lui aussi, était déjà passé par là, donnant au plus intime de sa belle le même nom… qu’une foule de gens ! Alors, pourquoi pas, dans la foulée de Joris-Karl, Les Foules de … Lourdes, Lentes  ?
Malheureusement pour lui, Hardellet, s’il partage bel et bien l’initiale H des poètes-philosophes-compositeurs germaniques les plus relevés, n’en rime pas moins avec Fallet, romancier populiste avec lequel il paraît avoir, au fil des ans, éclusé pas mal de gorgeons – qu’on le veuille ou non, l’immortel auteur de la Soupe aux choux est aussi celui de L’Amour Baroque. [7]
« L’été, je m’étends » : voilà leur façon d’entendre l’Être de l’Étant selon Heidegger, alors popularisé par Sartre aux terrasses de Saint-Germain-des-Prés. Et quand bien même, en mots longs d’une toise, Notre-Dame de Sartre n’apparaîtrait plus au grand jour comme Mère Éternelle, il suffirait de penser à Une autre dame — fût-ce, chez Genet, celle des Fleurs – et le tour serait joué.
Alors, pourquoi pas Notre-Dame de… Bury (Margency par Andilly-Seine-et-Oise), où, jadis, j’ai fait la connaissance de Philippe Muray, l’immortel auteur du Dix-neuvième siècle à travers les âges, dont le chapitre sur Baudelaire est aujourd’hui encensé par un citoyen de Vitry, sur lequel renchérit aussitôt, sous prétexte de controverse théorique, un blog « en ligne ». [8]
Chez Hardellet non plus, le Temporel n’a rien de Temporaire. Des Tempes aux Oreilles il n’y a guère, après tout, qu’un réseau – vital – de vaisseaux sanguins. En cas d’égarement, les peines encourues sont lourdes  ! « Lourdes (pas de ville du même nom, non, du Memnon, etc.). Lourdes, comme des ventres d’abeilles, comme le vent paresseux, comme le souvenir, comme la couleur de l’orage, comme les yeux clairs, comme une promesse qui sera tenue (…). » [9] Toute dénégation valant, en toutes lettres, son pesant de confirmation, il n’est guère surprenant de surprendre tel Aga pas encore tout à fait…gaga se rendant mentalement à Lourdes pour y…pêcher, faute de truite, l’érotisme éternel, et par voie de conséquence non moins spirituel que corporel.
Quelles que soient les chausse-trappes de la langue, avec ses doubles sens volontaires ou non, au propre comme au figuré, il n’est pas interdit d’entendre Notre-Dame de Lourdes, Lentes comme incarnation suprême de l’érotisme… d’Apparition.

Notes

[1André Hardellet, Idée fixe. Paris : Julliard,1973, p. 52.

[2André Hardellet, Les Chasseurs Deux. Paris : Jean-Jacques Pauvert, 1973, p.159.

[3Jehan Van Langenhoven, novembre 2017.

[4Ibid., pp. 52-53.

[5L’Âge d’homme, pp. 159 à 170.

[6André Hardellet, Lourdes, lentes... Paris : 10/18, 1973, p. 18.

[7Gallimard (Denoël), 1994.

[8Stalker, novembre 2019.

[9Ibid.


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