Ô splendide monde nouveau !
Et Prospero répond à sa fille, dans la dernière scène de La Tempête de Shakespeare : « Il est nouveau pour toi. » Nouveauté, avec évidence, ne rime pas toujours avec bonheur ou meilleur. Lorsque j’entendis à la radio, alors que l’épidémie sévissait en Chine, que la Bourse réagissait au phénomène, je me suis dit que, peut-être, ces cercles financiers, tout à leur obsession abstraite du chiffre, s’apercevraient que là où la vie se dérobait, la spéculation s’avérait délicate. Assez (...)
L’Extase et l’Errance ou la dynamique rythmique de deux en un
Aux éditions Orizons, Daniel Cohen a entrepris la réédition de quelques ouvrages majeurs de Claude Vigée, dont celui-ci, L’extase et l’errance, qui parut à l’origine chez Grasset en 1982. Cet essai, qui prend pour exergue le célèbre questionnement de Monsieur Jourdain sur ce qui différencie la prose et le vers ainsi qu’un verset d’Isaïe : « Chantez au Nom un chant nouveau ! », constitue une très bonne introduction à la poétique de Claude Vigée. (...)
Regard Renversant ou Renversé ?
Installation de la modernité*
La querelle des Anciens et des Modernes est permanente, sinon immanente. Comment juger d’une éthique ou d’une esthétique sinon par ce qu’elle apporte au fonds commun ? Par contre le nouveau, par définition ne se mesure que par la non identité. L’obsession de la nouveauté ne cesse de se dévorer, de s’absorber elle-même.
Chaque jour, l’ultra-moderne cesse de l’être pour rejoindre le douteux patrimoine de l’industrie culturelle qui prétend, (...)
La solitude est une énigme difficile à cerner. Elle est inhérente à la condition humaine, car une part de notre être est inexprimable, incommunicable, ce qu’il nous faut assumer. Elle est diverse dans ses manifestations. Pour certains, elle se traduit par un sentiment d’ennui ; pour d’autres, par un état d’angoisse. Gilles Lipovetsky, quant à lui, parle de « malaise existentiel ».
Différents critiques ont mis en lumière les principaux éléments fondateurs des récits le cléziens : le désert, le silence, (...)
Claude Vigée ou la parole comme écoute de l’en deçà de soi
La manière dont on rencontre une œuvre, comme la manière dont on rencontre quelqu’un, est au cœur de la rencontre et de son devenir. Avec Claude Vigée, je ne peux séparer l’homme et l’œuvre. J’ai rencontré d’abord la voix, lors d’une émission de Viktor Malka, avant l’œuvre puis l’homme. C’est certainement une chance que les choses se soient déroulées dans cet ordre. Car le choc éprouvé face à cette voix si particulière s’est révélé la meilleure des (...)
Claude Vigée, Mon heure sur la terre, Poésies complètes 1936-2008. « Le siècle des Poètes », Collection dirigée par Jean-Yves Masson. Paris : Galaade, 2008.
Claude Vigée, Lièwesschprooch Dichtung Langue d’amour Poésie 1940-2008. Bischwiller : Association des Amis du Musée de la Laub, 2008.
Claude Vigée, Mon heure sur la terre, Poésies complètes 1936-2008.
Ce très beau volume fort de 928 pages offre la totalité (à ce jour, car Claude Vigée continue d’écrire) des poèmes précédemment parus dans de (...)
V. Robinson Crusoé
Si l’on demandait à chacun et chacune d’entre vous de formuler ses souvenirs de cet ouvrage, il est quasiment certain que la réponse serait la même : « J’ai lu ça dans ma jeunesse. C’est l’histoire d’un marin anglais qui se retrouve seul sur une île déserte, qui se construit une cabane et élève des chèvres. Un jour, il rencontre un sauvage qu’il apprivoise et nomme Vendredi. » La fin, peu la connaissent ou s’en souviennent. Elle n’intéresse pas. On n’a souvenir que de cette fameuse (...)
VI Les Réflexions de Robinson
Lorsque Defoe eut publié la première partie du Crusoé, deux choses l’incitèrent à lui donner une suite : son succès commercial (4 réimpressions en six mois) et, corollaire du premier, le plagiat. En juillet 1719, donc quasiment quelques semaines, sinon jours après la mise en vente de l’original, paraît une édition pirate abrégée. Defoe sort donc tout aussi rapidement une deuxième partie qu’il agrémente d’une préface.
Citons-le : Le succès qu’a rencontré auprès du public la (...)
DAVID GASCOYNE & BENJAMIN FONDANE
Edited by Roger Scott
What follows represents, in effect, a small dossier that reflects Gascoyne’s involvement with Fondane and his work which began in 1937 and continued long after Fondane’s death in 1944. The very fact that some thirty-five years later Gascoyne chose to translate the essays, extracts and poem that follow, underscores the vital and enduring significance for him of Fondane’s friendship and influence in the 1930s. It is an indication, (...)
Traduction
David Gascoyne
An extended footnote to his translation of Benjamin Fondane’s
The Surrealists and the Revolution / Les Surréalistes et la révolution.
Editor : In footnote 26 on page 22 of the Temporel dossier, David Gascoyne & Benjamin Fondane, the translator comments : ‘Note here the ambiguity of “esprit”, especially crucial throughout the essay’. There are, in effect, fourteen references to ‘spirit’ / ‘mind’ in the essay.
Eight years after the publication of Fondane’s essay in (...)
Traduction française
A Short Survey Of Surrealism
A brief note on publication history
Edouard Roditi’s article, ‘The New Reality’ in The New Oxford Outlook of December 1928, represented the first definitive Surrealist manifesto in English. David Gascoyne at nineteen produced his own unilateral ‘Premier Manifeste Anglais du Surréalisme’ in June 1935 in the Paris review Cahiers d’Art, X. His landmark book, A Short Survey of Surrealism, written between July and September, with a dustjacket in red (...)
III. La carrière littéraire, éclectique et stakhanoviste.
Les débuts.
Elle est, au départ, intimement liée à la situation politique et consiste en œuvres brèves (pamphlets, essais, traités) ponctuelles mais aussi à répétition : interdit de toute activité commerciale, Defoe se lance dans le journalisme où il fait preuve de pionnier. Après le pilori, en 1704, il fonde un hebdomadaire : The Weekly Review, devenu The Review, qui très vite passera à trois numéros par semaine et durera jusqu’en 1713. Il s’en (...)
Hymne an die Heiterkeit
Hymne à la joie
Text des Liedes mit dem überlieferten Titel
Texte (paroles) de la chanson, livrée avec le titre
Gesungen bei der Einweihung eines Gartenhauses
Das zur Aufschrif hat :
SERENITY
Chantée à l’occasion d’une cérémonie d’inauguration
d’un pavillon de campagne qui porte l’inscription :
SERENITY
Poème attribué à Emilie von BERLEPSCH
D’après les notes de l’article :
« de nouveaux poèmes attribués à Hölderlin »,
par R. Edighoffer, dans Etudes Germaniques,
Revue (...)
Le thème du jardin est omniprésent dans la poésie d’Emmanuel Hiriart, mais il nous prévient qu’en Basque un unique mot désigne le jardin et le cimetière et que le jardin s’ouvre sur la lande sauvage et sur la mer atlantique, « paradis marin », d’où après quelques avatars est issu Adam notre premier ancêtre. Le jardin-cimetière est localisé dans L’oiseau noir, le dieu mort et sa mère : « Des profondeurs je t‘appelle » où le poète narre avec sobriété et un détachement qui cachent mal la profondeur de l’émotion (...)
From Adam International Review, No. 337-339, ed. Miron Grindea (1970).
David Gascoyne : How I came to music
My dear Miron,
I was quite delighted to be asked by you to write something about music for your Adam, as this is the first time such a thing has ever happened to me : this, in spite of the fact that I am a not unknown writer, with an unusually excellent musical upbringing and artistic education under the great organist Sir Walter Alcock, as a chorister at Salisbury Cathedral, at (...)
Une quête hallucinée de l’Absolu :
regard sur la poésie de Trakl.
Im Hof, vezrhext, von milchigem Dämmerschein,
Durch Herbstgebräuntes weiche Kranke gleiten.
Ihr wächsern-runder Blick sinnt goldner Zeiten,
Erfüllt von Träumerei und Ruh und Wein.
Dans la cour envoûtée par un reflet laiteux de crépuscule
Glissent de moelleux malades par les bruns de l’automne.
Leur œil rond et cireux revit des âges d’or
Emplis de rêverie, de repos et de vin.
Georg Trakl, Crépuscule.
Je serai bien (...)
Jean Mambrino : l’homme, l’œuvre
« Bien cher Gérard,
« merci de votre lettre (avec la photo-carte de Bar-sur-Seine). J’admire votre courage, votre élan, votre fidélité. »
(Lettre de Jean Mambrino,11-03-1996 )
Jean Mambrino, né à Londres en 1923, possède des attaches milanaises et andalouses (avant le XVème siècle) par son père, champenoises par sa mère, ce qui l’entraînera dans son œuvre à mêler la fougue italienne, le sens du sacré chez les Espagnols et le bon sens et la rigueur des Champenois. Entre (...)
Léon Bloy : sainteté et mystique
Léon Bloy est né à Périgueux en 1846, année des apparitions de Notre-Dame-de-la Salette, année aussi de la naissance de Lautréamont. Ce sont des coïncidences pour le commun des mortels, mais Léon Bloy méprise ces figures populaires du hasard qui relèveraient pour lui plutôt de la superstition. A ses yeux, tout a un sens, une cohérence difficilement déchiffrable par les hommes de son temps qui ne savent que prendre connaissance au jour le jour avec une curiosité (...)
Propos sur les Khitarèdes : beauté, lyrisme et silence
« Et voici maintenant ce qu’en beauté je chanterai
plaisir de mes compagnes . »
Sappho
Nous sommes à Paris, dans le XVIè arrondissement, à l’aube du XXè siècle. Vénérée par quelques « Ikônoklastes », une femme s’est vouée à l’écriture de la poésie et « osa se consacrer toute entière au culte divin des Chants ».
Les « paroles trempées dans le parfum des nuits » de Mytilène se sont emparées de Renée Vivien. Elles ont « incarné sa destinée », s’alliant (...)
Version française, traduction Anne Mounic
‘Paris is simply a place of freedom’
A chance encounter between two British men in the Café d’Harcourt in Paris in 1910 had significant artistic repercussions. One of them was the Scottish painter J D Fergusson who had settled in Paris in 1907 at the age of 32, and the other was John Middleton Murry, an English undergraduate drawn to Paris when he was only about 20 by Henri Bergson’s books and lectures.
British writers such as Richard le Gallienne in (...)
Après les récentes catastrophes qui ont touché le Japon, tremblement de terre et tsunami avec pour conséquence l’explosion des réacteurs nucléaires en mars 2011, je me vois amené à réfléchir sur la condition humaine et sa stupidité ; la stupidité japonaise d’abord et, plus généralement, la stupidité de l’humanité. Je suis obsédé par l’idée de la stupidité humaine de ces derniers mois.
Après la Seconde Guerre mondiale, les Intellectuels français, tels qu’Albert Camus et Jean-Paul Sartre, considérant les (...)
Le piéton, le fils de Pan et l’enfant aux yeux de cristal :
Trakl héritier de Rimbaud ?
En matière de littérature et plus largement en matière d’art, il est parmi les ascendants (Trakl dirait les pères) des créateurs que l’on n’oublie pas et leurs héritiers sont nombreux. « Le plagiat est nécessaire », recommandait sans vergogne Lautréamont. Cet aphorisme était destiné à justifier non la copie (on dirait de nos jours la contrefaçon) mais les emprunts et influences explicites ou clandestins qui font de (...)
Anne-Marielle Wilwerth, « paysagiste de l’imperceptible »
Anne-Marielle Wilwerth publie des livres et non des recueils comme on nomme communément les ouvrages de poésie. Livres, car les plus aboutis ne sont en aucun cas l’assemblage de textes plus ou moins homogènes, mais des constructions architecturées par un rythme spécifique, un mouvement, une ligne précise qui impriment le cheminement de l’ouvrage. Si on considère, par exemple, deux livres similaires en apparence par (...)
A propos de Charles Tomlinson
Lecture de Charles Tomlinson à partir du volume bilingue Comme un Rire de Lumière paru aux éditions Caractères en 2009.
Le texte ci-dessous développe une présentation faite à la librairie Olympique de Bordeaux en novembre 2010.
Remerciements à la Librairie Olympique, aux éditions Caractères pour le volume de poèmes, Comme un Rire de Lumière, que je vais présenter, et aussi au professeur et poète Michael Edwards que je citerai pour éclairer mes lectures à partir de la (...)
André Gide | Claire Goll | Jules Supervielle | Albert Camus | Gaston Bachelard | Paul Celan| André du Bouchet | Maurice Blanchot | Alexis Leger | Jorge Guillen | Philippe Jaccottet | René Girard | Emmanuel Levinas | René Char | Quelques réponses de Claude Vigée
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Extraits de lettres à Claude Vigée
André Gide à Claude Vigée, le 5 juillet 1948.
« […] En poésie, de nos jours, « l’offre » l’emporte à ce point sur « la demande » qu’il eût été plus expédient de juger sévèrement vos vers… J’ai fait (...)
Communication au symposium : « Avant-garde et arrière-garde », organisé les 13-14 mai 2006 par la Section de langue et de littérature françaises de la Faculté des lettres de l’Université de Tokyo
Il ne suffit pas de déceler le Weltgefühl propre à l’époque qui commence, issue de la chrétienté agonisante et du nihilisme. Il faut le voir dans ses rapports avec d’autres Weltgefühle à leur début, --- celui, surtout, qui a présidé à l’édification du monde chrétien d’Occident dont l’effritement interne remet (...)
Daniel Defoe,
1660-1731,
non-conformiste, opportuniste, polémiste, naturaliste, utopiste, stakhanoviste
I. Les origines, le contexte.
On ne sait pas grand-chose des ancêtres de l’auteur de Robinson Crusoé. On lui suppose des origines flamandes. Son père faisait de bonnes affaires et occupait de hautes fonctions dans sa corporation (boucherie-suif-chandelles) et dans la guilde londonienne des marchands. Defoe n’est pas son nom d’origine. Né Foe (peu importe l’orthographe) en 1660 (...)
DAVID GASCOYNE & BENJAMIN FONDANE
Textes de David Gacoyne rassemblés et présentés par Roger Scott, traduits en français par Michèle Duclos
Le bref dossier qui suit reflète un intérêt porté à Fondane et à son œuvre par Gascoyne, un intérêt qui commença en 1937 et se poursuivit longtemps après sa mort en 1944. Le fait même que trente-cinq ans après celle-ci Gascoyne ait choisi de traduire les essais, des extraits et le poème qui suivent, souligne la signification vitale et durable que prit pour lui de (...)
Traduction française
What Is Existential Philosophy ?
Benjamin Fondane : La Conscience malheureuse
(First published 1936, Paris : Denöel et Steel. New Edition, Paris : PLASMA, 1979)
In 1945, Jean Paulhan wrote to Fondane’s widow : ‘Think of all the resources that Benjamin Fondane had. I am thinking not only of his intelligence, but of that extreme tenacity, that subtle skill, that will in spite of everything. I still believe he will return.’ And more recently the poet Yves Bonnefoy declared (...)
François Augiéras
1925-1971
Coulée d’or vivant
ou
Un fou divin au mont Athos
Ouvrir la mort
comme une porte d’éveil
François Augiéras
François Augiéras refusa toujours que la mort soit un pays où l’on perd la mémoire. Il avait fait sien un aphorisme taoïste : « Entre la vie et la mort, quelle (...)
A l’occasion de la remise du Prix Nobel de Littérature à JMG Le Clézio en 2008, notre correspondant universitaire britannique, Roger Scott, grand spécialiste de David Gascoyne, nous a envoyé deux notes de lecture par le poète anglais des premiers romans du Français, textes retrouvés par lui après qu’il a édité les Selected Prose 1934-1996 (Enitharmon , 1998). Ces textes témoignent de l’acuité critique de celui qui fut un temps l’ami et ensuite l’exégète des Surréalistes français.
Outre ces deux textes (...)
Le Nuage de l’inconnaissance : une mystique pour notre temps, Présentation et commentaire de Bernard Durel. Albin Michel (Spiritualités vivantes), 2009.
Le nuage de l’Inconnaissance, ce traité anonyme de la mystique médiévale anglaise du 14ième siècle est une invitation à abandonner toute forme de savoir pour se laisser conduire jusqu’au mystère au-delà de tout nom. En commentant pas à pas ce classique de la mystique chrétienne, Bernard Durel, ce Dominicain formé par ailleurs aux pratique zen, permet de (...)
My last meeting with Peter Russell
Casa del Riposo, Castelfranco di Sopra, December 2002
When I wheeled Peter back into the Casa del riposo in Via Roma, he was half the weight he had been two years previously. In the room on the right of the entrance as you went in, where they usually kept the coffins, they had set up a special reading magnifier for him. They had helped him make this ‘his’ room, except, presumably, for when a coffin needed to be used. The reading machine used simple mirrors (...)
En cette période de confinement comment ne pas penser aux Carceri de Piranese. Malheureusement je n’ai pas eu le temps de voir l’exposition, « Piranese, un rêve de pierre et d’encre », qui se tient à la bibliothèque de l’Institut de France jusqu’au 10 avril 2020, mais qui n’est plus accessible. Espérons qu’elle sera prolongée. Malgré tout, le catalogue peut être téléchargé au format pdf .
En attendant je vous propose une promenade à travers son œuvre avec pour guide Marguerite Yourcenar qui dans Le cerveau (...)
Kim Su-Yong, Cent Poèmes, traduits, présentés et annotés par KIM Bona. Introduction Laurent Grisel. Préface Jean-Paul Michel. Bordeaux : William Blake & CO, 2000.
Yi Sang, Cinquante Poèmes Les Ailes, Le Pivot de l’Esthétique Coréenne, textes traduits, présentés, commentés et annotés par KIM Bona. Préface de Régis Ritz. Bordeaux : William Blake & CO, 2002.
Hwang Ji-U De l’Hiver-de-L’Arbre Au Printemps-de-l’Arbre , Cent Poèmes, traduits du coréen, présentés et annotés par KIM Bona. Prélude de (...)
Yvonne Caroutch
Les Soifs, la Licorne et l’inaccessible clarté
« Vos images sont directes, nouvelles, vivantes. (…) Le feu central et l’eau s’étreignent, les contraires se transpercent », écrivait Gaston Bachelard, après la publication de Soifs. « Merci de m’avoir fait lire vos poèmes. J’en aime le ton puissant et farouche (…) », reconnaissait Jean Paulhan. « C’est un grand privilège de pouvoir à dix-huit ans écrire et publier de beaux poèmes — et de vivre, comme vous le dites, dans votre propre royaume (...)
Le maître des lieux
Avant-propos
Les pages qui vont suivre sont quelques annotations, des moments ou des instants que j’ai partagés avec Armel Guerne dans les années 1960-1980. J’ai préféré à toute autre approche – la biographie ou le témoignage – ces quelques éléments apologétiques, écrits au courant du pinceau, presque hors texte, plus près du silence et du non-dit que de l’écriture. J’ai pensé que c’était la meilleure façon d’évoquer Armel Guerne, du cru de la mémoire, sachant que tout pourrait (...)
« Quand reste le poème… », hommage à Christine Lièvre (1955-2007)
Au seuil de cet hommage rendu à la poétesse Christine Lièvre, dans la tradition des tombeaux vivants, tombeaux littéraires et poétiques, récemment illustrée par les belles Fleurs de tempête, de Philippe Le Guillou (Gallimard, 2008), je voudrais rappeler la mémoire de Paul Celan (1920-1970), qui eut à composer avec un destin particulier, tragique, profondément blessant, obombré de part en part –c’est trop peu dit- par les effets (...)
Ecrire la faim
Ouverture du colloque du 18 mars 2009
Je tiens tout d’abord à remercier vivement Maël Renouard et Jean-Charles Darmont qui ont répondu favorablement à ma demande, et m’ont permis d’occuper la belle salle Béatrix Dussane, à l’Ecole Normale Supérieure, pour réaliser cette journée d’étude sur la faim. Je remercie également tous ceux qui ont répondu à mon appel pour ce colloque : Jérôme Thélot, Jean-Yves Masson, Anne Mounic, Claude Vigée, Gabrielle Althen, François Amanecer. Et je serai très (...)
David Gascoyne et Rimbaud
David Gascoyne est à juste titre associé au surréalisme français, dont il a fait connaître en Grande-Bretagne le mouvement et l’œuvre des principaux créateurs, illustrant dans sa poésie l’écriture automatique avant de s’en éloigner sans jamais renier la quête ontologique d’unité qui caractérise le mouvement. Adolescent prodigue, Gascoyne avait publié un volume de poèmes et un roman quand, à l’âge de 17 ans, en 1933, il fut commandité - sans se faire prier ! par son éditeur (...)
SENTIMENT RELIGIEUX ET MONDE NAÏF CHEZ SCHELLING, HÖLDERLIN ET HEGEL.
« Nous avons tous deux vies : la vraie, celle que nous rêvons dans l’enfance,
que nous continuons de rêver adultes, sur fond de brouillard ; la fausse,
celle que nous partageons avec les autres, la vie pratique, la vie utile, (...)
La lecture,
ou Proust parle aux enfants
Je propose, par ce petit texte, une expérience de pensée. Si l’on pouvait demander à Proust, par exemple, de parler aux enfants, et de leur confier sa conception de la lecture en quelques mots, afin qu’ils y accèdent sans détour scolastique, que leur dirait-il ? Et si un éducateur passait par là et assistait à l’entretien, qu’en apprendrait-il ?
L’objet de ce petit texte est le suivant : poser la question de ce que c’est que lire. Non pas sur le mode (...)
Marcelle Rosnay, désirant parler à nouveau de Robert Graves, m’a conviée, le 15 avril 2011, à venir au Club des Poètes. Nous avons élargi le sujet à quelques poètes anglais dans la perspective qui est mienne actuellement. Je me souviens du moment où, lors de la présentation que je faisais de Graves au Club des Poètes, en 1993 sans doute, Jean-Pierre Rosnay s’écria, comme pris d’une illumination : « On le publie ! » Ceci permit la première publication en français des poèmes de Robert Graves. La famille de (...)
Faire l’histoire des aveugles.
Une connaissance intime de la problématique du handicap et le désir de comprendre les comportements irrationnels de peur et de rejet observés encore aujourd’hui envers les personnes aveugles, dans un monde « désenchanté », est à l’origine de mes travaux.
En effet, malgré le droit à la scolarisation, à la formation professionnelle et à l’emploi, progressivement reconnu aux personnes handicapées au cours du XXe siècle dans notre pays, les aveugles doivent encore vaincre bien (...)
“The ultimate published object”. Such are the terms John Held Jr. once used to describe Word Rain, Madeline Gins’ first book published in New York City in 1969. Years later, the ultimate published object has become a rare book, either “currently unavailable” or sold as a priceless “single used copy” –a phrase habitually followed by the invitation to “be the first to review this item”.
If in many ways Word Rain calls for creative reviewing and requires, to say the least, more than one viewing, on the (...)
Rimbaud, le poète de la « bizarre souffrance » ?
L’in-ouï de l’adolescence, entre psychanalyse et poésie
« Alors la question qu’on peut se poser avec Benjamin Fondane, en 1933, est la suivante : est-ce que Rimbaud ne serait pas le premier adolescent moderne ? » Philippe Lacadée, L’éveil et l’exil, éd. Cécile Defaut, 2007, p.137.
« Mais, cette bizarre souffrance possédant une autorité inquiétante (…) » Arthur Rimbaud, in Œuvre-vie, éd. Arléa, 1991, p.175, cité par Philippe (...)
Faim, désir et littérature
« Le gâteau » de Baudelaire
précédé de "Bucolique", poème
Bucolique Endroit et temps parfaits, brise, fleurs, lignes de monts exquises, partage délicat de la brume, absolu non absent, dissimulé à peine, organique peut-être, et je me dépayse. Et mon cœur tâtonnant d’éprouver que le manque lui manque. J’offre ainsi mon salut trop rieur au premier contradicteur venu et nous nous en retournons à la parcimonie pleureuse de nos chambres. Le (...)
Shakespearian Uncertainties
1
Was Shakespeare Shakespeare ?
Shakespeare could not have written Wallace Stevens’ line ‘We live in an old chaos of the sun’ because the Second Law of Thermodynamics had not yet been formulated. But he knew an entropic process when he saw one, all the same : Macbeth’s fall into ‘the sere, the yellow leaf’, for example, or those ‘bare ruined choirs where late the sweet birds sang’. (...)
Transculturalité et handicap visuel. L’exemple de deux intellectuels aveugles du XXe siècle : Taha Hussein et Rabah Belamri
Communication présentée aux XXXVIe Journées d’étude de l’Association de Langue Française des Psychologues spécialisés pour Handicapés de la Vue, Transculturalité et déficience visuelle dans les pratiques cliniques, 3-5 juin 2005, Paris.
« Les yeux que le temps abreuve, sont-ils le creuset unique des fatigues et du mystère ? Ils renferment, au-delà même des livres lus et des images (...)
Starting from a close reading of Swensen’s 2004 Goest, my paper aims at showing how in the poet’s most recent work—including 1997 Noon, 2000 Oh, 2001 Such Rich Hour, 2005 The Book of a Hundred Hands, 2007 The Glass Age, 2008 Ours, and 2010 Greensward— ellipses work toward bringing out her ideas on the ontogenic origins of language. My aim is to show that 1) Swensen suggests an archaeology of language from its ontogenic perspective, 2) concentrates, within this archaeology, on a parting of ways (...)
L’épreuve de la faim dans la mystique d’Eckhart,
précédé de « O pain de vie », poème
Ô Pain de vie,
Quand Tu me rassasies
Ma faim grandit
Je suis riche de Toi
Abîme secret
Me voici
A ton image incréée,
Tout entière recueillie dans
L’étincelle où Tu nais,
Verbe éternel, Fécondité
Qui me déborde et me rend
Affamée
Du seul trésor – Ô joie,
Tu me transformes
En toi, jusqu’à la nudité
Je croix – la Source
Silencieuse,
En mon tréfonds inhabitée,
Puise
L’eau vive
Au calice de ton côté
Transpercé – (...)
Incertitudes shakespeariennes
1
Shakespeare était-il Shakespeare ?
Shakespeare n’aurait pu écrire le vers de Wallace Stevens : « Nous vivons dans un ancien chaos du soleil » parce que la seconde loi de la thermodynamique n’avait pas encore été formulée. Mais il reconnaissait un processus entropique quand il en apercevait un, malgré tout : la chute de Macbeth, par exemple, dans « la feuille jaune, la feuille desséchée » ou ces « chœurs nus, abîmés où, il y a peu, chantaient de tendres oiseaux ». Nous (...)
Traces du sacré au Centre Georges Pompidou du 7 mai au 11 août 2008.
Le thème de cette exposition peut surprendre dans ce temple dédié à l’art contemporain puisque d’emblée le sacré était pour moi rattaché à des formes secrètes et obscures loin de la visibilité que présente le bâtiment construit en 70 des architectes Richard Rogers et Renzo Piano, mais les temples restent ce qu’ils sont même ceux de notre époque et le désenchantement du monde peut y être parfois mis de côté.
Aussi, c’est avec une certaine (...)
Un sesshin animé par le Frère Bernard Durel
« Sans cesse je m’appliquerai / À gagner ce je ne sais quoi / Que mon cœur brûle d’obtenir », déclare Jean de la Croix dans un poème illustre. À elles seules ces paroles suffiraient à emplir de courage le cœur de celui qui s’apprête à prendre le chemin étroit, si les trois vers qui suivent ne venaient attiédir son ardeur. Ils proscrivent en effet sur le chemin « Tout ce que l’on peut percevoir / Ici-bas au moyen des sens / Et tout ce que l’on peut comprendre ». Le (...)
In one of his rare occasional poems “A Note on War Poetry” (1942), T.S. Eliot, who was no great admirer of the genre, reopens the case against war poetry. If indeed “It seems just possible that a poem might happen | To a very young man” in time of war, this does not make him a poet, for “a poem is not poetry” just as war is not life, but only a “situation” (l.14-17)1. The fundamental distinction he establishes between occasional poems “that might happen”, born by chance from a particular situation (...)
In a lecture to the 2010 Liverpool Biennial, Simon Critchley argued that ‘the question of politics […] becomes the question of survival of fireflies, which begin to disappear from Europe in the 1950s. For fireflies’, he continues, disappear along with collective ideologies. They disappear along with pollution and the collapse of the political imagination. Fireflies are tiny markers of resistance, the suicide bombers of the insect world. If Lyotard’s ‘Résistance’ were ever to be brought into (...)
La faim, ou la faille de la voix intérieure
« Audacity of Bliss, said Jacob to the Angel « I will not let thee go except I bless thee » – Pugilist and Poet, Jacob was correct – » (Audace de la félicité, dit Jacob à l’Ange « je ne te laisserai pas partir que je ne te bénisse » – Pugiliste et poète, Jacob avait raison –).
Emily Dickinson
Claude Vigée tire le titre de son recueil d’essais publié par Raymond Aron chez Calmann-Lévy en 1960, puis réédité par Philippe Nadal en 1989, de celui de la nouvelle de (...)
EN RUPTURE D’ÊTRE
… pour un soupçon d’inconnu.
« Je me prolonge dans l’inconnu ».
« Car le plus important, le plus nécessaire, on ne peut le voir, on ne peut que l’entendre. Les mystères de l’être sont soufflés silencieusement à l’oreille de celui qui sait, quand il le faut, devenir tout ouïe ».
« Isaac creusa à nouveau les puits d’eau qu’on avait creusés du temps d’Abraham, son père, et que les Philistins avaient comblés après la mort d’Abraham. Il leur imposa les mêmes noms que leur avait imposés son père (...)
Le Soulier de satin, de Paul Claudel, deux amants sur la scène du Monde dans une « lutte avec l’Ange » bien singulière ?
Pour Anne Mounic et Guy Braun
« Cette « sagesse nocturne », c’est ce que Kierkegaard nomme la « foi », c’est-à-dire, cette décision viscérale, d’être, qui fait du sujet une unité dans l’acte et non pas une dualité dans l’aliénation d’une part de lui-même. Si Jacob (...)
‘I HAVE NOT FORGOTTEN’ : LA NAPPE FRUGALE
Extract from The Nicotine Cat and Other People, Chronicles of the Self,
by Augustus Young. New Island Press, Dublin. Forthcoming Febuary 2009
When I told the venerable poet that I was learning Baudelaire off by heart to tone my French pronunciation, he did not laugh.
‘Baudelaire’s rhymes are true so it should help, but the lines are often slowed down by his ideas, ‘archibondées de saletés de toutes sortes’, as Beckett says in Godot, and translates as (...)
Nous présentons ici l’émission du dimanche 9 août 2009, que Victor Malka a consacrée au personnage de Jacob à l’occasion de la parution de Jacob ou l’être du possible d’Anne Mounic.
Victor Malka s’entretient avec Claude Vigée et Anne Mounic.
Maison d’étude, France-Culture, 9 août 2009
Avec l’aimable autorisation de Victor Malka, que nous remercions.
Pour une lecture intégrale de cet essai (caractères grecs et scansion), se reporter au P.D.F. Merci.
The contemporary Scottish poet and writer George Mackay Brown (1921-1996) never made any mystery of his artistic ideal : “One phrase of Thomas Mann struck me, that art is somehow ‘anonymous and communal’. Over the past four centuries there has been too much emphasis on the life and personality of authors ― great streams of reminiscence, biography and autobiographies.” (Brown 1997, 38) That this (...)
Recouvrer le temporel après y avoir renoncé :
Présentation de la revue Temporel et autres ouvrages
Je voudrais tout d’abord remercier Camille Aubaude et l’association A.L.F.O.M., qu’elle dirige, de m’avoir si gentiment invitée à présenter la revue Temporel, ainsi que mon essai sur Jacob, et à vous lire un choix de mes poèmes. Je vous propose de parler de la revue puis de Jacob, ou l’être du possible. Je répondrai ensuite à vos questions. J’ai prévu aussi quelques lectures extraites de Temporel, si nous (...)
The Poetic Voice, an Ethical Voice : the Question of Rhythm
A poem is an ethical choice, the subject’s assertion and new birth. It also gives shape and meaning to time. Following this perspective, I wish to discuss the reciprocal relationship of ethics and/to aesthetics in creative writing, by focusing on and examine the essential question of rhythm. First of all, leaning on examples taken from different periods, I intend to study the visages of the ‘I’ in the poem in its relations to the (...)
Roland Nadaus, Vivre quand même parce que c’est comme ça. Choix anthologique par Jacques Fournier. Chaillé-sous-les-ormeaux : Le Dé bleu, 2004. Guérir par les mots : poèmes médicaux, médicinaux & pharmaceutiques. Cognac : Cadex, Le Temps qu’il fait, 2004.
Comme le dit Jacques Fournier en sa préface à l’anthologie de l’œuvre de Roland Nadaus, ce dernier mène de front engagement poétique et engagement politique. En exergue à la préface, cette phrase d’Aimé Césaire (qui fut élu, en 1945, maire, puis (...)
Henri Meschonnic, Demain dessus demain dessous. Paris : Arfuyen, 2010.
C’est après avoir entendu, le 18 septembre 2010 – jour où Henri Meschonnic aurait eu soixante-dix-huit ans –, à la librairie la Terrasse de Gutenberg, à Paris, la très belle lecture, émue et commentée, des poèmes de ce recueil posthume, par Gérard Dessons, co-auteur du Traité du rythme paru originellement en 1998 chez Dunod, et auteur de La Force du langage : Rythme, Discours, Traduction. Autour de l’œuvre d’Henri Meschonnic (...)